Friday, October 26, 2012

Le massacre de 1937, 75 ans déjà !


Le massacre de 1937, 75 ans déjà !

Par Joël Léon


Terre déliée au cœur d'étoile chaude
Fille bâtarde de Colomb et de la mer
nous sommes du Nouveau Monde
et nous vivons dans le présent
Nous ne saurons marcher à reculons
n'ayant point d'yeux derrière la tête
et le moulin du vent broie les paroles sur nos lèvres
car sur les socles de la mémoire
dans la farine de nos mots ô mon Pays
nous pétrissons pour toi des visages nouveaux
Il te faut des héros vivants et non des morts
                         (Anthony Phelps, mon pays que voici)


     L’occupation américaine et les tueries perpétrées pendant 19 ans en Haïti inspirèrent le dictateur Rafael Leonidas Trujillo à massacrer plus de 35.000 haïtiens en 1937, soit 3 ans après le départ des marines du territoire Haïtien. En vérité, les Américains nous firent beaucoup de torts. Depuis les dernières tentatives de l’empereur Faustin Soulouque de réunifier l’Ile, au milieu du 19e siècle, les Dominicains vivaient dans la peur d’une éventuelle reconquête de la part d’Haïti. L’histoire nous enseigne qu’à chaque fois que la situation socio-politique connait un calme apparent en Haïti, l’autre partie de l’ile se trouve dans le point de mire des dirigeants haïtiens. Comme si naturellement ce bout de terre leur appartient.
       Avec  l’invasion, suivie d’occupation d’Haïti par les États-Unis, le mythe de l’invincibilité haïtienne fut volé en éclat. C’est vrai que Charlemagne Peralte, ce héros haïtien, résista les armes à la main jusqu’à sa trahison suivie de son assassinat le 31 octobre 1919, mais cela n’a pas empêché une perte énorme de plus de 15.000 haïtiens, d’après l’historien Roger Gaillard. Et, surtout l’image d’Haïti fut irréversiblement affectée. Ce fut le début de la vraie descente aux enfers d’Haïti.
      Les marines américains pavaient la voie à ce qui allait se produire en Dominicanie quelques années plus tard, le grand massacre de 1937. Les  tortionnaires de l’empire pendirent des hommes à partir de leurs parties génitales, Ils pratiquèrent le « bumping of gooks » (le tir contre des civils comme s’il s’agissait d’un sport ou d’un exercice de tirs), pour répéter Mr Belleau. L’essentiel pour eux, il fallait punir « ces nègres qui prétendent parler français ». Ils firent tout essayer pour agenouiller les hommes et femmes d’Haïti qui osèrent ébranler l’ordre mondial de l’occident, dit chrétien.
        Toutes ces tortures et  tueries de l’occupant blanc, comme celles de la corvée (faisant 6000 victimes paysannes), démystifièrent l’invincibilité haïtienne aux yeux du dictateur raciste Trujillo, mais admiré des États-Unis.
               Le poète qualifierait le mois d’octobre de lugubre au peuple haïtien. Ce mois enregistre l’assassinat du plus grand des haïtiens, Jean Jacques Dessalines, et le massacre de plus de 35.000 haïtiens en territoire haïssable de la république Dominicaine. Il a fallu un mois pour voir diminuer la fureur de l’armée de Trujillo contre de pauvres paysans haïtiens. Après le mois d’octobre, le massacre fut poursuivi, parfois même au-delà de la frontière, en territoire national. D’après des héros, ceux ayant la vie sauve, si ce n’était pas le génie hérité de nos ancêtres, c’est-à-dire le marronnage, le bilan serait quatre (4) fois de ce qu’il fut.
          Cette haine implacable aveugla tout un peuple. Le prélat de l’église catholique n’avait pas dit mot. Les plus érudits de l’intelligentsia tournaient dos. Le slogan « solution finale » fut sur toutes les lèvres. En quelque sorte,  bien avant les juifs, les haïtiens expérimentèrent en silence leur holocauste. Aujourd’hui encore, le massacre est réduit au silence, particulièrement à l’heure de la manne du tourisme.
        Le massacre des Haïtiens par la République Dominicaine continue sous d’autres formes. Il est métamorphosé  dans la politique haïtienne, avec la rébellion armée de 2004, conduite par un résident haïtien à Santo Domingo, Guy Philippe. On en a encore fait l’expérience au cours des élections de 2011, lorsque des officiels dominicains financèrent  tous les candidats majeurs aspirant à devenir présidents de la république. Durant les 25 dernières  années, le massacre se traduit surtout sur le plan économique.  « L’invasion silencieuse de l’économie haïtienne » par les produits du marché dominicain est de plus en plus fulgurante.  La montée éclatante de la langue de Cervantès dans le pays, pour ne citer que ceux-là, en est une autre.  La stabilité d’Haïti dépend totalement du pays voisin ! La politique haïtienne dans l’économie, le social résulte des besoins fondamentaux des élites dominicaines.
        Le 5 octobre dernier, le journal « EL DIARIO » à New York, a publié un article dans lequel  le ministre de la planification et du développement Dominicain, Mr Temistocles Montas, a fait état d’une immédiate réforme fiscale afin de pallier à un déficit budgétaire de plus de 6%. L’administration de Danilo Medina décida d’augmenter les taxes sur les produits alimentaires dans le pays. D’après le journal, la République Dominicaine connait un manque à gagner de l’ordre de 3 milliards huit cent neuf millions (3.809.000.000) de dollars américains. Cette augmentation vise à résoudre ce déficit allant d’une période de 4 ans, et atteindra jusqu’à 16%  au cours de l’année 2016.
         Vue la dépendance alimentaire d’Haïti par rapport à la Dominicanie, cette décision de réforme fiscale va créer une situation économique explosive dans le pays. Qui, probablement débouchera sur une autre émeute de la faim similaire à celle de 2008 qui avait conduit le premier ministre Jacques Edouard Alexis à la démission et qui avait fait plusieurs morts. La paix des rues en Haïti dépend de l’humeur des dirigeants voisins ! N’est-ce pas une autre forme de massacre, cette fois à l’arme invisible de la dépendance.
           Le massacre de 1937 reste encore vif dans la mémoire du peuple haïtien. Malheureusement, les dirigeants politiques et animateurs de la société civile d’aujourd’hui ne peuvent même pas  jouer «  le rôle de mémoire » que l’histoire leur confère. Les hommes d’État de l’exécutif ou du législatif ne le mentionnent même pas dans leurs discours officiels, ils font de la lâcheté. Pourtant, après 75 ans de négligence et d’oubli, l’état haïtien aurait dû être à l’offensive réclamant dommage et intérêt en faveur des 35.000 âmes haïtiennes injustement massacrées en Dominicanie. Les partis politiques, eux non plus n’agitent pas cette question, car leurs sources de financement viennent de la République Dominicaine.
          On n’a qu’à  suivre  le nouveau schéma politique  mis en place par l’international après le terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010, qui consista  à utiliser les offices du gouvernement dominicain pour représenter Haïti dans des assises internationales, en lieu et place des dirigeants haïtiens. Cette réalité choquante inspire certains analystes stratégiques haïtiens à interpréter ce revirement impérial  à un vaste complot dont l’essence est la banalisation d’Haïti. Cette banalisation est l’extension d’une politique brutale de vassalisation dont l’ancien président américain, Bill Clinton, a endossé l’entière responsabilité par la destruction de la capacité productive d’Haïti.
          Le massacre de 1937 est un acte majeur qui allait définir les relations inégales entre les deux états qui habitent l’ile d’Haïti. Le lendemain du massacre, la balance stratégique qui cimenta l’équilibre géopolitique de l’ile s’est déplacée en faveur de la République Dominicaine. En fait, cet acte sanglant consacre l’un des objectifs de l’occupation simultanée des deux républiques, que fut la diminution de l’influence haïtienne dans le bassin des caraïbes. Les Etats-Unis, quoique tout-puissants, redoutaient toujours les velléités révolutionnaires des dirigeants haïtiens à aller à contre-courant du fameux « manifest destiny ».
         Depuis le coup de force du 30 mai 1961, quand Trujillo fut sommairement exécuté, les investissements des compagnies américaines dans la production sucrière  eurent augmenté de façon exponentielle. D’après de persistantes rumeurs, Clinton et Gore (ancien vice-président américain) seraient  partie de potentiels investisseurs dans le secteur sucrier très rentable en République Dominicaine. Donc, l’affaiblissement économique et militaire d’Haïti, marque aussi la fin de la potentielle menace régionale, particulièrement dominicaine. A noter que Pamphile Delacroix, dans «  Mémoires pour servir à l’histoire de la révolution de Saint-Domingue », a déclaré que l’empereur Jean Jacques 1er rêvait de faire d’Haïti un empire.
        Pour conclure, le massacre de 1937, dont  nous commémorons les 75 ans aujourd’hui, révèle la brutalité des élites dominicaines à l’ endroit des pauvres paysans haïtiens. Il consacre aussi la vision géopolitique impériale américaine dans sa croisade à exercer un contrôle total sur le continent américain. Pour cela, il faut éliminer toute prise de conscience et intentions révolutionnaires  chez tous les peuples de l’hémisphère américain.  Donc, Haïti, la grande référence en la matière doit être sacrifiée au profit du voisin Dominicain. Le massacre des 35.000 Haïtiens en 1937 s’insère dans cette logique d’affaiblissement continu d’Haïti, choix stratégique d’un certain courant raciste de domination. Dans ce contexte, un autre massacre reste encore, malheureusement, une possibilité.

Joël Léon

Friday, July 13, 2012

In Memoriam, Michel-Rolph Trouillot, 1949-2012

Michel-Rolph TrouillotMichel-Rolph Trouillot–brilliant anthropologist, historian, inspiring thinker–passed away 5 July 2012. Devastating loss for anthropology, history, Haiti, all of us.
This page links to tributes, memorials, and news (refresh browser for updates). A separate page is dedicated to Michel-Rolph Trouillot’s bibliography.
À la mémoire de Michel Rolph Trouillot
Le bureau du Secrétaire d’État à l’alphabétisation a salué avec émotion et respect la mémoire du professeur et anthropologue haïtien, Michel Rolph Trouillot . . . Monsieur Trouillot était considéré comme une grande figure du monde intellectuel en Haïti. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles qui ont fait grand écho. Parmi ses œuvres, on retient surtout« ti dife boule sou listwa Dayiti », un best-seller, selon des critiques.
Le Matin, 12 July 2012
Michel-Rolph Trouillot, scholar of Caribbean history, 1949-2012, William Harms
Michel-Rolph Trouillot, a professor of anthropology at UChicago and a leading authority on the dynamics of power across cultural boundaries, died July 5. He was 62. . . .
Yarimar Bonilla, PhD’08, a former student of Trouillot and an assistant professor of anthropology at Rutgers University, said, “It’s hard to know how to mark the passing of someone who has so thoroughly transformed your life through both word and deed.
“Rolph’s work is the gold-standard for me intellectually, but he was also a deep personal inspiration: bold, charismatic, unabashed, unapologetic, and fully engaged with life’s pleasures and ironies. He offered a model of an academic who never compromised on life, love or laughter. I don’t think this was coincidental to the power of his work. His writing does not just inform — it inspires and transforms. He always encouraged his students to find their ‘burning questions’ to follow their passions as this was what would truly sustain them and feed not just their careers but their souls.”
UChicagoNews, 10 July 2012
Anthro in the news 07/09/2012
Anthropologyworks has a lead article from anthropologist Mark Schuller on Haiti, Too Soon for Carnival: Sweeping Haiti’s 400,000 Poor Back Under the Rug and links to news about Michel-Rolph Trouillot at the end.
anthropologyworks, 9 July 2012
Michel-Rolph Trouillot, 1949-2012
Thank you to Ryan Anderson for this piece on Savage Minds and to reader CarlosFM for the link.
Savage Minds, 8 July 2012
The Headline I Wish We Were Reading: Anthropology Changed Everything, Jason Antrosio
The headline I wish we were reading is how the nation gathered to reflect on Trouillot’s work and legacy: Anthropology Changed Everything.
Le célèbre anthropologue et historien haïtien Michel-Rolph Trouillot est mort (also published at AlterPresse)
Michel-Rolph Trouillot « s’est toujours penché avec intelligence, passion et sensibilité sur les questions sociales haïtiennes et laisse derrière lui une œuvre qui constitue une référence incontournable pour toute réflexion sur les réalités haïtiennes et sur les sciences sociales en général », lit-on dans le communiqué de la Fondation Anne-Marie Morisset.
Signal FM Haiti, 06 Juillet 2012
Michel-Rolph Trouillot destacado antropólogo haitiano
El Dr. Michel-Rolph Trouillot destacado antropólogo haitiano y Profesor de la Universidad de Chicago falleció el pasado 5 de Julio de 2012. En el 2011 el Dr. Trouillot recibió el premio “Frantz Fanon Lifetime Achievement” el cual es otorgado anualmente por la Asociación de Filósofos del Caribe a destacados intelectuales por su contribución a los estudios y al pensamiento caribeños. . . .
Transformaciones Globales. La Antropología y el mundo moderno (2011) contiene “seis ensayos que hacen una lectura crítica de la antropología desde el análisis de su campo temático y sus principales objetos discursivos; los contenidos de los discursos universales creados en el Atlántico Norte y su despliegue en los países periféricos, sobre todo (pero no exclusivamente) en el Caribe; las características de la globalización neoliberal; el tratamiento antropológico del Estado en la modernidad y su adecuación en la era global; el papel de la cultura en la disciplina y la manera como los antropólogos han enfrentado su uso y movilización por actores no académicos; y los lugares creados por la intervención etnográfica, desde el trabajo de campo hasta las locaciones. Esta traducción tiene el propósito de estimular la lectura de uno de los pensadores más osados y originales de la antropología contemporánea”.
Ana Servigna, 8 Julio 2012
Dr. Michel-Rolph Trouillot & Haiti’s Gold Rush
The island from which Dr. Michel Rolph Trouillot came is busy being reconstructed. Everyone is figuring out ways to harvest fruit from all the trees that have yet to be planted. While all the super-sizing of Haiti continues without a break, while investors rush to scrape the gold mines clean, let us heed Dr. Trouillot’s words and remember not to silence the past. Let us use the ropes of the past to ring the bell of Haiti’s real future. . . . Rest in perfect peace, Dr. Trouillot. VoicesfromHaiti celebrates your immeasurable contributions to Haiti and the world. We send our sincere condolences to those who have only begun to feel the sting of your passing.
Voices from Haiti, 7 July 2012
Passing of Esteemed Anthropologist Michel-Rolph Trouillot
CHICAGO, IL, USA (defend.ht) – The esteemed anthropologist, Michel-Rolph Trouillot is being mourned by the social science community after passing among family members in Chicago, Illinois, Thursday. Trouillot’s colleagues all over the world regard him as a brilliant anthropologist, a historian, and an inspiring thinker. For Haiti it is a loss for the historic intellectual community and the entire nation. . . . He was a recipient of the Frantz Fanon Lifetime Achievement Prize in 2011. This award is given annually by the Caribbean Philosophical Association in recognition of up to three works in or of special interest to Caribbean thought.
Defend Haiti, 7 July 2012
Vibrant hommage de l’Université d’Etat à l’intellectuel Michel-Rolph Trouillot, décédé aux Etats-Unis
Le rectorat de l’Université d’Etat d’Haïti a exprimé vendredi sa consternation devant la disparition de l’anthropologue et historien de renommée internationale, Michel-Rolph Trouillot, dont il a salué l’énorme contribution au renouvellement des sciences sociales en Haïti. . . . Enfin, soulignant que certains ont « trouvé en lui de nouvelles raisons de croire en la perfectibilité de l’humain et en la régénération d’Haïti », le rectorat a présenté ses sympathies à la famille du disparu, particulièrement à son frère Lyonel Trouillot, l’un des principaux écrivains haïtiens d’aujourd’hui. L’historien Pierre Buteau a également rendu un vibrant hommage à Michel-Rolph Trouillot pour son œuvre considérable et son effort de renouvellement du discours haïtien dans le domaine des sciences sociales et de l’histoire des idées.
Radio Kiskeya, 6 juillet 2012
Michel-Rolph Trouillot: Power and the Production of History, Zinn Education Project
Haitian scholar, professor, and writer Michel-Rolph Trouillot passed away in the early hours of July 5, 2012 at his residence in Chicago. . . . In his memory, we share an excerpt from the preface to Silencing the Past: Power and the Production of History: “I grew up in a family where history sat at the dinner table. All his life my father engaged in a number of parallel professional activities, none of which defined him, but most of which were steeped in his love of history.”
Michel-Rolph TrouillotMichel-Rolph Trouillot, 26 novembre 1949 – 5 juillet 2012
Pour marquer le départ d’un grand homme, d’un penseur qui a marqué notre temps et notre monde; pour exprimer notre peine, pour témoigner de l’impact d’une vie sur la notre, nous vous invitons à partager avec nous et avec le monde, des témoignages, des photos, des citations dans la langue de votre choix. Vous pouvez utiliser l’espace des commentaires ou nous envoyer des mails à nadeve.regine@gmail.com pour que nous les ajoutions.
Tande, jeudi 5 juillet 2012
In memoriam: Michel-Rolph Trouillot, John R. Roby
Trouillot was known as a scholar of the history of Caribbean people, particularly their emergence from enslavement and the trials they have been subjected to in the process of integration into the increasingly global economy, and of the relationship between power and history. . . . I vividly remember my PhD adviser handing me a copy of his Silencing the Past: Power and the Production of History, and how I read it in a clip. The words seemed to burn off the page. It remains, to me, the single most influential book I have read about the way history is produced. . . . Trouillot’s concern in that book is to understand why some narratives of history become more accepted, more canonical, than others. Every account enters the historical record with some of its constituent parts missing: “Silences,” as he calls them, are not oversights of historical archives, but are constitutive of them, due to unequal power among the assemblers and subjects of those archives. When “facts” of history are created, so are silences–the things that are left out, disregarded, minimized. When you consider a historical account, you must recognize it is not an objective assemblage of things that happened, but an account that is shot though with power, and one that has many, many stories behind the story.
Digs & Docs, 6 July 2012
Reflection on the Revolution(s) in Haiti – In memory of Michel-Rolph Trouillot, esmat
Trouillot’s consideration of how the Haitian revolution was silenced in its present moment (and beyond of course, “ghosts that are best left undisturbed”) by Western recorders compels me to reflect on our own present moment. It is apparent that if you surrender to the historical unconsciousness that dominates our present society’s sense of itself (i.e. “American Exceptionalism”) you are absolved from resisting the present; empty, homogenous time renders resistance futile. In the consciousness of the ‘mainstream’, Occupy Wall Street is a ‘lost cause.’ Nonetheless, other narratives are written and published on blogs, on Twitter, and by independent presses, including this narrative here. The rebellion continues because there is no mystical power that consolidates and erases with totality, and certainly no cabal or conspiracy (though, undoubtedly, an oligarchy), but there is human agency and hope. Trouillot’s book is a powerful indictment of history, but one must not forget the potentially subversive power of history as well. In his narration of the San Domingo Revolution, The Black Jacobins, C.L.R. James did not just write an exquisite history (despite its silences) of Toussaint L’Overture’s struggle, of the Caribbean, of modernity and transnationalism, but also a call for global revolution.
From the Haiti Press Network, Décès de l’éminent intellectuel et universitaire: Michel-Rolph Trouillot:
L’intellectuel, universitaire et parolier haïtien Michel-Rolph Trouillot est décédé dans la nuit du 4 au 5 juillet dans sa résidence à Chicago, a appris HPN de sa sœur, l’écrivaine et poète Evelyne Trouillot. Ce brillant intellectuel et universitaire «s’est toujours penché avec intelligence, passion et sensibilité sur les questions sociales haïtiennes et qui laisse derrière lui une œuvre qui constitue une référence incontournable pour toute réflexion sur les réalités haïtiennes et sur les sciences sociales en général», peut-on lire dans une note de la famille.
Esteemed Haitian Anthropologist Michel-Rolph Trouillot (1949-2012) has passed away, Lisa Paravisini-Gebert
Haitian intellectual, professor and writer Michel-Rolph Trouillot passed away in the early hours of July 5th at his residence in Chicago, Haiti Press Network has learned from his sister, writer and poet Evelyne Trouillot. Here is a translation of their report. This brilliant intellectual and academic, HPN reports from a family communication, “always looked with intelligence, passion and sensitivity on Haiti’s social issues and leaves behind a body of work that is an indispensable reference for any discussion of Haitian realities and the social sciences in general.”
Repeating Islands, 6 July 2012

Wednesday, July 4, 2012

 

Haïti : Quand une mine d’or signifie la mise a mort d’une nation !

Première partie

 
 

Au cours d’une émission de radio en Floride, un ami me rappela a brule-pourpoint que les Occidentaux exterminèrent les premiers habitants d’Haïti, les Indiens dits Indiens par Christophe Colomb, pour pouvoir mieux voler leurs richesses minérales, particulièrement de l’or. Ensuite, la publication de l’article de l’ « Associated Press » sur la découverte de l’or en Haïti, gisement estimé à plus de 20 milliards de dollars, nous prend a la gorge. Une révélation pareille donne à la fois des sueurs froides aux patriotes haïtiens et du grincement de dents aux exploiteurs occidentaux. Les richesses minérales ont été toujours à la base de beaucoup de génocides de l’histoire. Ainsi, l’extermination des Arawak/Taino, les natifs d’Haïti. D’après des sources espagnoles de l’époque, ils étaient des millions en Hispaniola. En 1507, un recensement fit état de 60.000 Indiens restant, après 24 ans, soit en 1531, ils étaient réduits à une poignée de 600. Aujourd’hui, il n’en reste que des vestiges archéologiques. Un tel constat révèle la cruauté impitoyable des conquistadores. Ce fut la première expérience barbare liée directement a l’exploitation de l’or à laquelle les habitants d’Haïti firent face, c’était au 16e siècle. L’or s’achemine vers L’Europe et les natifs, vers le néant.
Haïti n’a pas beaucoup de chances quand il y a « ruée vers l’or ». D’après l’historien J.A. Rodgers, Toussaint Louverture, dans sa quête de libération pour ses frères en Afrique, rêvait d’y retourner. Une fois là-bas, il entendait empêcher le commerce des noirs qui se pratiquait à grande échelle. Ainsi, il confia beaucoup de franc-or à Mr Stephen Girard, un capitaine de bateau américain d’origine française, qui mouillait fréquemment dans la rade de Port-au-Prince, un ami a lui. L’objectif de cette entreprise, toujours selon Mr Rodgers, fut d’accumuler une forte quantité d’or pour pouvoir matérialiser financièrement son projet contre la traite négrière. La valeur de Cet or fut estimée à plus de 6 millions de dollars américains. Tout ceci est reporte dans le livre : « 100 Amazing facts About The Negro ». Après l’acte vil de Napoléon qui piégea Toussaint Louverture et l’envoya en France, Stephen Girard décida de conserver l’or pour lui-même au lieu de le remettre aux enfants et a la femme de celui-ci après son internement a Fort-de-Joux, en France. A rappeler ici, que la femme de Toussaint fut humiliée, torturée atrocement par les bourreaux de Napoléon à la recherche de l’or caché du mari.
En 1812, Stephen Girard fut l’homme le plus riche des Etats-Unis d’Amérique. Quand en 1813, le gouvernement américain était au bord de la faillite et risquait de perdre la guerre face à l’Angleterre. Ne pouvant collecter les 10 millions de dollars requis, Stephen Girard, à lui seul, prêta 5 millions de dollars au gouvernement, soit la moitié de ce dont ’il avait besoin. Donc, la richesse volée de Stephen Girard d’Haïti fut mise au service des Etats-Unis lui permettant de gagner la guerre cruciale contre l’Angleterre, la dernière. Ensuite, il construisit « Girard Collège » à Philadelphie, d’où aucun homme ou femme de peau noire n’était admis. Il fallut attendre jusque dans les années 70 pour que le gouvernement impose l’accès au collège à tout un chacun, sans tenir compte de la couleur de leur peau.
En 1914, les Américains envahirent le pays. Ils firent un holdup up à la banque de la république d’Haïti et emportèrent la réserve d’or nationale. Ils occupèrent le pays pendant 19 ans. Aujourd’hui encore, l’or de « tonton nord » se trouve toujours dans les réserves stratégiques fédérales des Etats-Unis d’Amérique.
Dans ce contexte particulier de crise économique aigue, l’or s’impose mondialement comme le moyen le plus sur de conserver la richesse. Parce que tout est instable. Les secteurs clés de l’investissement-comme l’immobilier qui générait rapidement d’énormes profits-et les stocks sont en lambeaux. L’or est actuellement le refuge privilégié des nantis. Cela explique que l’once d’or coute plus de 2000 dollars américains sur le marché international. En une année, il a subi une augmentation de 15%. Voila dans quel contexte de grande convoitise qu’est arrivée la découverte de l’or en Haïti. D’abord, considérons les réserves d’or mondiales pour permettre de comprendre le danger qui guette Haïti.
Le Canada qui assure les explorations minérales sur le terrain en Haïti depuis 2006, à travers la compagnie EMX, affiche un certain retard sur la liste des pays détenteurs d’or. Le Canada est en 80e position avec seulement 3.4 tonnes de réserve. Donc, dans un contexte économique et financier mondial pareil, ce pays a besoin de beaucoup d’or pour renflouer sa réserve. D’ailleurs, il n’est pas le seul, d’autres géants économiques emboîtent le pas aussi. Les Etats-Unis qui contrôlent la plus grande réserve d’or de la planète, en première position avec 8133,5 tonnes, s’activent beaucoup aussi sur le marché de l’or. A noter que, les Etats-Unis prirent des 1933 un arrêté l’« executive order 1602 » mettant hors la loi tout citoyen susceptible de posséder de l’or. Seul le gouvernement fédéral fut autorisé à en garder. Pour préserver plus de 12 milliards de dollars en or, Franklyn D. Roosevelt a ordonné la construction a Fort Knox, Kentucky, du coffre-fort le plus sécurisé au monde jusqu’a nos jours. Le « United States Bullion Depository », il est placé en plein cœur de l’un des plus grands camps militaires du pays. Il est surveillé jour et nuit par plus de 30.000 soldats appartenant a : « l’aéroport militaire de Godman», « 16th régiment de cavalerie », « Bataillon du génie », l’« Equipe de combat de la 3eme brigade », la « 1ere division d’infanterie »…sans oublier : « United States Mint Police », des systèmes d’alarme, des caméras de vidéo, des hélicoptères apaches, des véhicules blindés de transport de troupes …On parle même de minage a intervalle de certains tronçons conduisant au bâtiment. Donc, l’or, contrairement à la croyance populaire a une importance supérieure à l’admiration illusoire que fait miroiter un bracelet, une bague ou une chaine…
Haïti, ce même bout de terre qui absorba le sang tout chaud de ces milliers innocents Indiens, hommes, femmes et enfants, aujourd’hui excite également l’appétit mercantile des empires. Cette fois, la république d’Haïti est habitée par des hommes et femmes noirs, originaires de l’Afrique. Ces mêmes individus qui remplacèrent les premiers habitants exterminés, il y a six siècles de cela. Ils sont plus de dix millions. Eux, les Haïtiens, qui fondèrent une nation sur ce bout de terre au prix de hautes luttes et de sacrifices ultimes sont dans le point de mire de ces mêmes exterminateurs au 21e siècle.
Ils sont de retour !
Ils sont du même sang !
Ils viennent de l’Europe !
Le Canada et les Etats-Unis remplacent respectivement l’Espagne et l’Angleterre; c'est-à-dire, la même fresque épidermique de Caucasiens aux yeux bleus/verts qui se disent issus d’une race supérieure. Perpétuellement, avec la même rapacité, c'est-à-dire la même soif ardente de voler et de tuer pour s’accaparer de tout. Toujours l’identique stratégie de diviser pour mieux régner : tribaliser la nation en parachutant un valet au pouvoir et morceler tout un continent par zones d’intérêts. Le trio infernal, États-Unis/France/Canada, à l’instar de celui du 15e siècle-le trio France/Angleterre/Espagne, se prépare pour le deuxième grand pillage d’Haïti, voir l’extermination de ceux qui résistent.
A l’heure de l’alerte du grand drame humain se joue la tragédie de la « chronique d’une mort annoncée ». Beaucoup de penseurs estiment qu’il faut exorciser les peuples victimes de l’histoire. En leur enlevant leur innocence. Il faut les réveiller de ce profond sommeil injecté par l’ordre mondial sur mesure. C’est l’heure de grands réquisitoires et de véhémentes dénonciations. Sinon, c’est la défaite qui nous consumera. Cette fois, il faut anticiper l’histoire pour l’imposer a notre humanité. Elle est trop cruelle envers nous, dirait l’auteur de « Les Veines Ouvertes de L’Amérique ». Il faut arrêter les tours et contours meurtriers de l’histoire. Cette dualité de bourreaux et victimes, agresseurs et proies touche à sa fin. Que l’or d’Haïti soit la sépulture des exterminateurs des Indiens.
Il y a six siècles de cela, les occidentaux firent disparaitre toute une classe d’hommes et de femmes. Il n’y avait pas eu de transition entre les Arawak/Tainos, les premiers habitants d’Haïti, et les noirs arrachés de leurs royaumes africains. Cela signifie que l’Ile d’Haïti avait vécu le premier nettoyage ethnique de l’hémisphère occidental.
En écoutant le documentaire audio de « Ayiti Je Kale », on a l’impression que le peuple, appuyé par ses intellectuels progressistes, se prépare déjà à la résistance nationale. Le gouvernement actuel, par son manque de légitimité, est appelé a ne pas négocier aucun contrat avec « EURASIAN », « NEWMONT » etc, les principaux pillards internationaux des mines. D’ailleurs, Dieuseul Anglade, un ancien directeur général du bureau des mines, a déjà exhorté les autorités actuelles dans ce sens, et je cite : « Je leur ai dit de laisser les minerais sous terre les générations futures pourront les exploiter ». La nation d’Haïti est condamnée à ne pas manquer cet autre rendez-vous. Celui-là est fondamental parce qu’il s’agit des ressources naturelles nationales du pays.
Hugo Chavez, en commentant sa dernière visite en Haïti devant le parlement vénézuélien tout de suite après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, a avoué avoir vu dans le pays des « Portes de l’enfer habitées par des anges noirs ». Donc, le moment est venu de briser ses portes de l’enfer en utilisant nos propres ressources et combattre le grand capital financier international toujours prêt à piller. Sans pourtant ignorer la complexité de la situation globale du pays.
Nous faisons face a un appareil d’état vassalisé au profit de l’intérêt économique, politique et social des pays, curieusement autoproclamés « amis d’Haïti ». Cette réalité me renvoie étrangement en 1929 quand le commandant des US marines en Haïti, Mr John Russel, expliqua que Louis Borno, président d’alors d’Haïti, « n’a jamais pris une seule décision sans me consulter au préalable». En 2012, tous les pouvoirs d’état sont assujettis. Le président et sa femme sont de nationalité américaine et considérés comme les chouchous de Bill Clinton, ex-président des Etats-Unis. On a un chef de gouvernement, Laurent Lamothe, qui regarde tout comme une marchandise. Il est un multi millionnaire dans le domaine de la télécommunication, qui voit profit en tout et partout. Les parlementaires haïtiens, à part quelques exceptions notables se font tristement célèbres dans des scandales financiers et politiques en permanence. Le pouvoir judiciaire est totalement acquis à la cause de l’exécutif. En face d’une réalité aussi décevante, la défense de l’intérêt national tombe automatiquement sous la responsabilité directe des citoyens.
D’abord, en considérant le caractère valet de l’exécutif et puéril du législatif, il est impérieux qu’ils n’engagent pas le pays dans des accords avec des compagnies étrangères pour l’extraction de l’or. Ce déficit de confiance doit être résolu avant de penser à l’utilisation des mines nationales. Pour cela, il faut avoir des hommes politiques patriotes aux affaires, pour éviter que soit gaspillée cette chance ultime. D’où l’importance des élections à venir.
Joël Léon

Saturday, May 26, 2012

LA SAGA DE Mme LOUVERTURE


La saga de Mme Louverture


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Par Jean Ledan Fils
Toussaint Louverture a été arrêté le 7 juin 1802 alors qu'il arrivait au rendez-vous convenu sur l'habitation Georges avec le général Brunet vers huit heures du soir. Suite au complot préparé par celui-ci, Louverture fut garrotté, malmené, puis conduit aux Gonaïves. Il fut embarqué sur la frégate La Créole, qui immédiatement partit à destination du Cap. Le 11 - 12 juin 1802 au large du Cap, Louverture fut transféré sur le vaisseau Le Héros. C'est en montant sur Le Héros qu'il dit au commandant du vaisseau Savary ces mots célèbres: « En me renversant, on n'a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté des Noirs ; il repoussera par les racines, parce qu'elles sont profondes et nombreuses. » Le 16 juin, Le Héros, avec sa cargaison de prisonniers, partit du Cap pour se rendre en France.
Suzanne Simon Baptiste, de son côté, avait été arrêtée le 8 juin 1802 avec les membres de sa famille, sa maison livrée au pillage. Elle fut embarquée avec son mari Toussaint Louverture, ses deux fils et de nombreux domestiques. Toussaint, lui-même, fournit une idée de sa relation avec sa femme dans Le Moniteur universel du 9 janvier 1799 :
« Jusqu'au moment de la Révolution, je n'en avais pas quitté ma femme une heure ; nous allions travailler à notre place (champ) en nous donnant la main, nous revenions de même. À peine nous apercevions-nous des fatigues du jour... Le ciel a toujours béni notre travail ; car non seulement nous vivions dans l'abondance et nous faisions des épargnes, mais nous avions encore le plaisir de donner des vivres aux Noirs de l'habitation quand ils en manquaient. Le dimanche et les fêtes, nous allions à la messe, ma femme et moi et mes parents. De retour à la case, après un repas agréable, nous passions le reste du jour en famille, et nous le terminions par la prière que nous faisions en commun. »
Madame Louverture révéla qu'aussitôt arrêtée, elle et Toussaint furent maintenus dans les fers, enchaînés, et à peine nourris pour rester en vie. Elle pensait qu'arrivés à Bordeaux en France, et bien que dans la même prison au début, pensait-elle, ils furent séparés, et elle ignorait totalement ce qui arriva ensuite à son mari. Qu'elle était encore incertaine s'il était mort dans les cachots de Besançon comme le rapportaient les Gazettes de France ou s'il avait le corps mutilé comme elle mais toujours vivant.
Suzanne Simon Baptiste Louverture se trouvait aux États-Unis vers la fin de décembre 1804 ou au début de 1805 après son incarcération en France. À son arrivée sur le continent américain, Le Herald de New York avait rencontré ce « monument vivant de l'humanité » et lui consacra tout un article à la date du 5 janvier 1805. En début de texte, le journal affirmait : « [...] les membres mutilés et les nombreuses cicatrices de madame Toussaint sont des preuves visibles des instruments de torture dont on a fait usage sur sa personne dans les cachots de la France libre, éclairée et civilisée... »
Elle renseigne que son premier interrogatoire eut lieu en présence d'un beau-frère de Lucien Bonaparte (le second des frères de Napoléon - 1775-1840) nommé Pierre Pierre, qui lui dit : « [...] que sa fosse était creusée et que son dernier jour était venu » si elle n'avouait pas l'endroit où Toussaint tenait sa correspondance secrète avec les Anglais et/ou il avait enfoui le trésor tant recherché par les Français.
Suzanne répondit qu'elle n'était au courant d'aucune transaction secrète avec les Anglais, mais que quand Leclerc fit traîtreusement capturer son mari, il avait sur lui tous ses papiers et aussi tout son argent estimé à 300 000 livres, que c'était tout ce qu'elle savait. Elle fut alors renvoyée dans sa cellule. Au milieu de la nuit, le commissaire de police Pierre Pierre revint dans la cellule avec quatre gens d'armes d'élite ; elle fut entraînée cette fois dans une salle souterraine et le commissaire lui montra les instruments de torture qui l'attendaient en réitérant les mêmes questions et menaces qu'auparavant.
En dépit des larmes, des prières, des supplications, et même de sa déclaration qu'elle était dans un état de grossesse, rien n'arrêtait ses bourreaux. Les gens d'armes la terrassaient, la saisissaient, etc. Elle s'évanouit ; malgré cela les mêmes questions revenaient et les tortures s'accentuaient quand elle perdit totalement ses sens. Quand Suzanne revint à elle, ce serait pour constater qu'elle avait eu une couche prématurée. L'accouchement du foetus mort fut opéré par la femme d'un des gens d'armes, prétendait-elle. Ainsi, Toussaint Louverture et sa femme Suzanne Simon Baptiste seraient en attente d'un enfant lors de leur arrestation par Leclerc. Ici le conditionnel est de rigueur, car dans une lettre à Bonaparte le 20 juillet 1802 en rade de Brest, Toussaint mentionnait sa femme âgée de 53 ans.
Madame Louverture pouvait toujours être utile à la politique de Bonaparte ; donc, le chirurgien de la prison devait la maintenir en vie et lui rendait plusieurs visites. Ensuite, elle vint à développer une maladie qui dura quelque six mois alors que la pression psychologique se poursuivait : on lui disait à tout bout de champ qu'elle pouvait recouvrer la liberté, qu'elle pouvait revoir son mari, etc. Quand elle put reprendre un peu de forces, Pierre Pierre s'amena un soir au cours de la nuit ; d'un ton joyeux, il dit à madame Louverture que Bonaparte lui permettait généreusement d'aller rejoindre son mari à Paris. Mensonge !
Au cours du voyage vers Paris, deux agents de police surveillaient madame Louverture à qui l'ordre a été intimé de ne pas révéler son identité en cours de route, sous peine d'emprisonnement. Était aussi présente une de ses servantes qui étaient venues avec elle de Saint-Domingue (Haïti). Ne pouvant se parler entre elles, sinon en langage de signes, la servante lui fit comprendre qu'elle aussi portait des cicatrices résultant des tortures infligées. Le carrosse qui conduisait madame Louverture arriva à Paris vers onze heures du soir. La prisonnière fut conduite à la préfecture de police, d'où le préfet donna l'ordre de la conduire au Temple, en prison.
Au cours de la soirée du lendemain, madame Louverture fut introduite au-devant du grand juge Régnier et d'un chef de police nommé Réal. Là, le secrétaire Desmarrais lut le procès-verbal relatant tout ce qui avait été dit dans les interrogatoires précédents, signé par Pierre Pierre et les quatre gens d'armes mentionnés ci-dessus. Le juge Régnier la somma d'être plus précise, car, prétendait-il, Toussaint son mari avait avoué davantage qu'elle, et donc qu'elle était dans l'obligation de parler, car c'était le seul moyen d'obtenir la liberté et d'éviter de nouvelles tortures.
N'ayant rien à ajouter, elle reprit ses déclarations faites à Bordeaux, où elle pensait être. Soudain, elle fut saisie par les gens d'armes et bousculée dans un cachot en dégringolant soixante-dix marches pour y arriver. Cette fois-ci, elle fut mise toute nue et connut de nouvelles tortures.
Desmarrais voulait savoir le nom des agents secrets du gouvernement anglais à la Jamaïque, les transactions qu'ils avaient effectuées en ce qui a trait aux maisons en Angleterre et en Amérique qui leur avaient rapporté de l'argent et à qui cet argent avait été remis ; de plus, ils voulaient savoir où à Saint-Domingue un trésor estimé à une valeur de dix millions en or avait été enterré, etc.
Il semble que les tortures endurées précédemment n'étaient qu'un jeu d'enfant en comparaison de celles infligées à Paris. Sous peu, ne pouvant plus résister, elle perdit ses sens, ses facultés de penser, de parler, et elle perdit connaissance et ne put se souvenir de ce qui lui arriva dans le Temple. Quand elle se reprit, elle se retrouva enfermée et enchaînée à l'hôpital de la Salpêtrière, près du Jardin des Plantes à Paris au début d'avril 1804 ; Suzanne Simon Baptiste était encore torturée alors que Toussaint son mari était mort depuis belle lurette, soit un an auparavant, au fort de Joux dans le Jura, le 7 avril 1803.
À la Salpêtrière, le chirurgien général Lallemand présenta un rapport sur l'état de santé de madame Louverture en convalescence. Finalement, les autorités françaises permirent à son fils de la visiter ; ce qui la réconforta davantage. Cependant, ces nouvelles dispositions de Bonaparte n'étaient pas sans raison. Un de ses fils (elle en avait eu trois par ailleurs : Placide, Isaac et Saint-Jean, qui mourut en 1804 à Agen, en France) dut prendre l'engagement de rentrer en Haïti et de fomenter un parti contre Dessalines ; madame Louverture dut promettre qu'elle allait coopérer avec son fils, elle dut de même signer un protocole reconnaissant les bons traitements qu'elle reçut en France. À ces conditions, elle et son fils furent transférés dans une maison de détention à Paris, en attendant le prochain bateau qui pourrait les amener en Amérique.
Toutefois, dans cette maison de détention, il semblerait que madame Louverture et son fils furent bien traités, avec respect et humanité. Néanmoins, « avant son départ, elle reçut de Bonaparte mille louis d'or, comme une indemnité de sa détention en France ; et madame Bonaparte lui envoya une bague de diamants de la valeur de cinq cents louis d'or, avec une lettre, par laquelle elle lui témoignait qu'elle était pénétrée de sa situation, et l'engagea à oublier le passé, et à se ressouvenir qu'elle était née française ».
Le Herald de New York relatait que madame Louverture avait personnellement raconté sa saga à une certaine madame Bernard. Cette dernière, dans une lettre envoyée à Londres, confirmait que madame Louverture, suite aux tortures, avait perdu l'usage de son bras gauche, et qu'elle n'avait pas moins de quarante-quatre cicatrices dans différentes parties du corps. Le journal du 5 janvier 1805 précisait encore que madame Louverture était « un monument vivant de l'humanité », et vu que le climat des États-Unis ne lui était pas favorable à cause de sa santé affaiblie, qu'elle avait l'intention de s'établir à la Jamaïque aussitôt qu'elle aurait réuni une partie de ses avoirs et si le gouvernement le britannique lui permettait.
Suzanne Simon Baptiste, veuve de Toussaint Louverture, mourut longtemps après à Agen, France, dans les bras de ses fils Placide et Isaac Louverture le 19 mai 1816.
Référence : Madame Toussaint - Gazette politique et commerciale d'Haïti du jeudi 28 mars 1805, l'an deuxième de l'Indépendance, numéro 16.
* Avis aux collectionneurs : Prière de noter ce format, une version corrigée, de La saga de Mme Louverture. Ce titre fit l'objet de trois parutions dans la rubrique A propos de l'histoire d'Haïti, saviez-vous que... patronnée par PRESTIGE. La saga de Mme Louverture sera publiée dans son intégralité dans le nouvel ouvrage de Jean Ledan fils, L'Histoire d'Haïti au singulier à paraître le 7 juin 2012 - LIVRES EN FOLIE 2012.