Le massacre de 1937, 75 ans
déjà !
Par Joël Léon
Terre
déliée au cœur d'étoile chaude
Fille bâtarde de Colomb et de la mer
nous sommes du Nouveau Monde
et nous vivons dans le présent
Nous ne saurons marcher à reculons
n'ayant point d'yeux derrière la tête
et le moulin du vent broie les paroles sur nos lèvres
car sur les socles de la mémoire
dans la farine de nos mots ô mon Pays
nous pétrissons pour toi des visages nouveaux
Il te faut des héros vivants et non des morts
Fille bâtarde de Colomb et de la mer
nous sommes du Nouveau Monde
et nous vivons dans le présent
Nous ne saurons marcher à reculons
n'ayant point d'yeux derrière la tête
et le moulin du vent broie les paroles sur nos lèvres
car sur les socles de la mémoire
dans la farine de nos mots ô mon Pays
nous pétrissons pour toi des visages nouveaux
Il te faut des héros vivants et non des morts
(Anthony Phelps, mon
pays que voici)
L’occupation américaine et les tueries
perpétrées pendant 19 ans en Haïti inspirèrent le dictateur Rafael Leonidas
Trujillo à massacrer plus de 35.000 haïtiens en 1937, soit 3 ans après le
départ des marines du territoire Haïtien. En vérité, les Américains nous firent
beaucoup de torts. Depuis les dernières tentatives de l’empereur Faustin
Soulouque de réunifier l’Ile, au milieu du 19e siècle, les
Dominicains vivaient dans la peur d’une éventuelle reconquête de la part
d’Haïti. L’histoire nous enseigne qu’à chaque fois que la situation
socio-politique connait un calme apparent en Haïti, l’autre partie de l’ile se
trouve dans le point de mire des dirigeants haïtiens. Comme si naturellement ce
bout de terre leur appartient.
Avec
l’invasion, suivie d’occupation d’Haïti par les États-Unis, le mythe de
l’invincibilité haïtienne fut volé en éclat. C’est vrai que Charlemagne
Peralte, ce héros haïtien, résista les armes à la main jusqu’à sa trahison
suivie de son assassinat le 31 octobre 1919, mais cela n’a pas empêché une
perte énorme de plus de 15.000 haïtiens, d’après l’historien Roger Gaillard.
Et, surtout l’image d’Haïti fut irréversiblement affectée. Ce fut le début de
la vraie descente aux enfers d’Haïti.
Les marines américains pavaient la voie à
ce qui allait se produire en Dominicanie quelques années plus tard, le grand
massacre de 1937. Les tortionnaires de
l’empire pendirent des hommes à partir de leurs parties génitales, Ils
pratiquèrent le « bumping of gooks » (le tir contre des civils comme
s’il s’agissait d’un sport ou d’un exercice de tirs), pour répéter Mr Belleau.
L’essentiel pour eux, il fallait punir « ces nègres qui prétendent parler
français ». Ils firent tout essayer pour agenouiller les hommes et femmes
d’Haïti qui osèrent ébranler l’ordre mondial de l’occident, dit chrétien.
Toutes ces tortures et tueries de l’occupant blanc, comme celles de
la corvée (faisant 6000 victimes paysannes), démystifièrent l’invincibilité
haïtienne aux yeux du dictateur raciste Trujillo, mais admiré des États-Unis.
Le poète qualifierait le mois
d’octobre de lugubre au peuple haïtien. Ce mois enregistre l’assassinat du plus
grand des haïtiens, Jean Jacques Dessalines, et le massacre de plus de 35.000
haïtiens en territoire haïssable de la république Dominicaine. Il a fallu un
mois pour voir diminuer la fureur de l’armée de Trujillo contre de pauvres
paysans haïtiens. Après le mois d’octobre, le massacre fut poursuivi, parfois
même au-delà de la frontière, en territoire national. D’après des héros, ceux
ayant la vie sauve, si ce n’était pas le génie hérité de nos ancêtres,
c’est-à-dire le marronnage, le bilan serait quatre (4) fois de ce qu’il fut.
Cette haine implacable aveugla tout
un peuple. Le prélat de l’église catholique n’avait pas dit mot. Les plus
érudits de l’intelligentsia tournaient dos. Le slogan « solution
finale » fut sur toutes les lèvres. En quelque sorte, bien avant les juifs, les haïtiens
expérimentèrent en silence leur holocauste. Aujourd’hui encore, le massacre est
réduit au silence, particulièrement à l’heure de la manne du tourisme.
Le massacre des Haïtiens par la
République Dominicaine continue sous d’autres formes. Il est métamorphosé dans la politique haïtienne, avec la
rébellion armée de 2004, conduite par un résident haïtien à Santo Domingo, Guy
Philippe. On en a encore fait l’expérience au cours des élections de 2011,
lorsque des officiels dominicains financèrent
tous les candidats majeurs aspirant à devenir présidents de la
république. Durant les 25 dernières
années, le massacre se traduit surtout sur le plan économique. « L’invasion silencieuse de l’économie
haïtienne » par les produits du marché dominicain est de plus en plus
fulgurante. La montée éclatante de la
langue de Cervantès dans le pays, pour ne citer que ceux-là, en est une
autre. La stabilité d’Haïti dépend
totalement du pays voisin ! La politique haïtienne dans l’économie, le
social résulte des besoins fondamentaux des élites dominicaines.
Le 5 octobre dernier, le journal
« EL DIARIO » à New York, a publié un article dans lequel le ministre de la planification et du
développement Dominicain, Mr Temistocles Montas, a fait état d’une immédiate
réforme fiscale afin de pallier à un déficit budgétaire de plus de 6%.
L’administration de Danilo Medina décida d’augmenter les taxes sur les produits
alimentaires dans le pays. D’après le journal, la République Dominicaine
connait un manque à gagner de l’ordre de 3 milliards huit cent neuf millions
(3.809.000.000) de dollars américains. Cette augmentation vise à résoudre ce
déficit allant d’une période de 4 ans, et atteindra jusqu’à 16% au cours de l’année 2016.
Vue la dépendance alimentaire d’Haïti
par rapport à la Dominicanie, cette décision de réforme fiscale va créer une
situation économique explosive dans le pays. Qui, probablement débouchera sur
une autre émeute de la faim similaire à celle de 2008 qui avait conduit le
premier ministre Jacques Edouard Alexis à la démission et qui avait fait
plusieurs morts. La paix des rues en Haïti dépend de l’humeur des dirigeants
voisins ! N’est-ce pas une autre forme de massacre, cette fois à l’arme
invisible de la dépendance.
Le massacre de 1937 reste encore vif
dans la mémoire du peuple haïtien. Malheureusement, les dirigeants politiques
et animateurs de la société civile d’aujourd’hui ne peuvent même pas jouer « le rôle de mémoire » que
l’histoire leur confère. Les hommes d’État de l’exécutif ou du législatif ne le
mentionnent même pas dans leurs discours officiels, ils font de la lâcheté.
Pourtant, après 75 ans de négligence et d’oubli, l’état haïtien aurait dû être
à l’offensive réclamant dommage et intérêt en faveur des 35.000 âmes haïtiennes
injustement massacrées en Dominicanie. Les partis politiques, eux non plus
n’agitent pas cette question, car leurs sources de financement viennent de la
République Dominicaine.
On n’a qu’à suivre
le nouveau schéma politique mis
en place par l’international après le terrible tremblement de terre du 12
janvier 2010, qui consista à utiliser
les offices du gouvernement dominicain pour représenter Haïti dans des assises
internationales, en lieu et place des dirigeants haïtiens. Cette réalité
choquante inspire certains analystes stratégiques haïtiens à interpréter ce
revirement impérial à un vaste complot
dont l’essence est la banalisation d’Haïti. Cette banalisation est l’extension
d’une politique brutale de vassalisation dont l’ancien président américain,
Bill Clinton, a endossé l’entière responsabilité par la destruction de la
capacité productive d’Haïti.
Le massacre de 1937 est un acte
majeur qui allait définir les relations inégales entre les deux états qui
habitent l’ile d’Haïti. Le lendemain du massacre, la balance stratégique qui
cimenta l’équilibre géopolitique de l’ile s’est déplacée en faveur de la
République Dominicaine. En fait, cet acte sanglant consacre l’un des objectifs
de l’occupation simultanée des deux républiques, que fut la diminution de l’influence
haïtienne dans le bassin des caraïbes. Les Etats-Unis, quoique tout-puissants,
redoutaient toujours les velléités révolutionnaires des dirigeants haïtiens à
aller à contre-courant du fameux « manifest destiny ».
Depuis le coup de force du 30 mai
1961, quand Trujillo fut sommairement exécuté, les investissements des
compagnies américaines dans la production sucrière eurent augmenté de façon exponentielle.
D’après de persistantes rumeurs, Clinton et Gore (ancien vice-président
américain) seraient partie de potentiels
investisseurs dans le secteur sucrier très rentable en République Dominicaine.
Donc, l’affaiblissement économique et militaire d’Haïti, marque aussi la fin de
la potentielle menace régionale, particulièrement dominicaine. A noter que
Pamphile Delacroix, dans « Mémoires pour servir à l’histoire de la
révolution de Saint-Domingue », a déclaré que l’empereur Jean Jacques 1er
rêvait de faire d’Haïti un empire.
Pour conclure, le massacre de 1937,
dont nous commémorons les 75 ans
aujourd’hui, révèle la brutalité des élites dominicaines à l’ endroit des
pauvres paysans haïtiens. Il consacre aussi la vision géopolitique impériale
américaine dans sa croisade à exercer un contrôle total sur le continent
américain. Pour cela, il faut éliminer toute prise de conscience et intentions
révolutionnaires chez tous les peuples
de l’hémisphère américain. Donc, Haïti,
la grande référence en la matière doit être sacrifiée au profit du voisin
Dominicain. Le massacre des 35.000 Haïtiens en 1937 s’insère dans cette logique
d’affaiblissement continu d’Haïti, choix stratégique d’un certain courant
raciste de domination. Dans ce contexte, un autre massacre reste encore,
malheureusement, une possibilité.
Joël
Léon
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