Saturday, May 26, 2012

LA SAGA DE Mme LOUVERTURE


La saga de Mme Louverture


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Par Jean Ledan Fils
Toussaint Louverture a été arrêté le 7 juin 1802 alors qu'il arrivait au rendez-vous convenu sur l'habitation Georges avec le général Brunet vers huit heures du soir. Suite au complot préparé par celui-ci, Louverture fut garrotté, malmené, puis conduit aux Gonaïves. Il fut embarqué sur la frégate La Créole, qui immédiatement partit à destination du Cap. Le 11 - 12 juin 1802 au large du Cap, Louverture fut transféré sur le vaisseau Le Héros. C'est en montant sur Le Héros qu'il dit au commandant du vaisseau Savary ces mots célèbres: « En me renversant, on n'a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté des Noirs ; il repoussera par les racines, parce qu'elles sont profondes et nombreuses. » Le 16 juin, Le Héros, avec sa cargaison de prisonniers, partit du Cap pour se rendre en France.
Suzanne Simon Baptiste, de son côté, avait été arrêtée le 8 juin 1802 avec les membres de sa famille, sa maison livrée au pillage. Elle fut embarquée avec son mari Toussaint Louverture, ses deux fils et de nombreux domestiques. Toussaint, lui-même, fournit une idée de sa relation avec sa femme dans Le Moniteur universel du 9 janvier 1799 :
« Jusqu'au moment de la Révolution, je n'en avais pas quitté ma femme une heure ; nous allions travailler à notre place (champ) en nous donnant la main, nous revenions de même. À peine nous apercevions-nous des fatigues du jour... Le ciel a toujours béni notre travail ; car non seulement nous vivions dans l'abondance et nous faisions des épargnes, mais nous avions encore le plaisir de donner des vivres aux Noirs de l'habitation quand ils en manquaient. Le dimanche et les fêtes, nous allions à la messe, ma femme et moi et mes parents. De retour à la case, après un repas agréable, nous passions le reste du jour en famille, et nous le terminions par la prière que nous faisions en commun. »
Madame Louverture révéla qu'aussitôt arrêtée, elle et Toussaint furent maintenus dans les fers, enchaînés, et à peine nourris pour rester en vie. Elle pensait qu'arrivés à Bordeaux en France, et bien que dans la même prison au début, pensait-elle, ils furent séparés, et elle ignorait totalement ce qui arriva ensuite à son mari. Qu'elle était encore incertaine s'il était mort dans les cachots de Besançon comme le rapportaient les Gazettes de France ou s'il avait le corps mutilé comme elle mais toujours vivant.
Suzanne Simon Baptiste Louverture se trouvait aux États-Unis vers la fin de décembre 1804 ou au début de 1805 après son incarcération en France. À son arrivée sur le continent américain, Le Herald de New York avait rencontré ce « monument vivant de l'humanité » et lui consacra tout un article à la date du 5 janvier 1805. En début de texte, le journal affirmait : « [...] les membres mutilés et les nombreuses cicatrices de madame Toussaint sont des preuves visibles des instruments de torture dont on a fait usage sur sa personne dans les cachots de la France libre, éclairée et civilisée... »
Elle renseigne que son premier interrogatoire eut lieu en présence d'un beau-frère de Lucien Bonaparte (le second des frères de Napoléon - 1775-1840) nommé Pierre Pierre, qui lui dit : « [...] que sa fosse était creusée et que son dernier jour était venu » si elle n'avouait pas l'endroit où Toussaint tenait sa correspondance secrète avec les Anglais et/ou il avait enfoui le trésor tant recherché par les Français.
Suzanne répondit qu'elle n'était au courant d'aucune transaction secrète avec les Anglais, mais que quand Leclerc fit traîtreusement capturer son mari, il avait sur lui tous ses papiers et aussi tout son argent estimé à 300 000 livres, que c'était tout ce qu'elle savait. Elle fut alors renvoyée dans sa cellule. Au milieu de la nuit, le commissaire de police Pierre Pierre revint dans la cellule avec quatre gens d'armes d'élite ; elle fut entraînée cette fois dans une salle souterraine et le commissaire lui montra les instruments de torture qui l'attendaient en réitérant les mêmes questions et menaces qu'auparavant.
En dépit des larmes, des prières, des supplications, et même de sa déclaration qu'elle était dans un état de grossesse, rien n'arrêtait ses bourreaux. Les gens d'armes la terrassaient, la saisissaient, etc. Elle s'évanouit ; malgré cela les mêmes questions revenaient et les tortures s'accentuaient quand elle perdit totalement ses sens. Quand Suzanne revint à elle, ce serait pour constater qu'elle avait eu une couche prématurée. L'accouchement du foetus mort fut opéré par la femme d'un des gens d'armes, prétendait-elle. Ainsi, Toussaint Louverture et sa femme Suzanne Simon Baptiste seraient en attente d'un enfant lors de leur arrestation par Leclerc. Ici le conditionnel est de rigueur, car dans une lettre à Bonaparte le 20 juillet 1802 en rade de Brest, Toussaint mentionnait sa femme âgée de 53 ans.
Madame Louverture pouvait toujours être utile à la politique de Bonaparte ; donc, le chirurgien de la prison devait la maintenir en vie et lui rendait plusieurs visites. Ensuite, elle vint à développer une maladie qui dura quelque six mois alors que la pression psychologique se poursuivait : on lui disait à tout bout de champ qu'elle pouvait recouvrer la liberté, qu'elle pouvait revoir son mari, etc. Quand elle put reprendre un peu de forces, Pierre Pierre s'amena un soir au cours de la nuit ; d'un ton joyeux, il dit à madame Louverture que Bonaparte lui permettait généreusement d'aller rejoindre son mari à Paris. Mensonge !
Au cours du voyage vers Paris, deux agents de police surveillaient madame Louverture à qui l'ordre a été intimé de ne pas révéler son identité en cours de route, sous peine d'emprisonnement. Était aussi présente une de ses servantes qui étaient venues avec elle de Saint-Domingue (Haïti). Ne pouvant se parler entre elles, sinon en langage de signes, la servante lui fit comprendre qu'elle aussi portait des cicatrices résultant des tortures infligées. Le carrosse qui conduisait madame Louverture arriva à Paris vers onze heures du soir. La prisonnière fut conduite à la préfecture de police, d'où le préfet donna l'ordre de la conduire au Temple, en prison.
Au cours de la soirée du lendemain, madame Louverture fut introduite au-devant du grand juge Régnier et d'un chef de police nommé Réal. Là, le secrétaire Desmarrais lut le procès-verbal relatant tout ce qui avait été dit dans les interrogatoires précédents, signé par Pierre Pierre et les quatre gens d'armes mentionnés ci-dessus. Le juge Régnier la somma d'être plus précise, car, prétendait-il, Toussaint son mari avait avoué davantage qu'elle, et donc qu'elle était dans l'obligation de parler, car c'était le seul moyen d'obtenir la liberté et d'éviter de nouvelles tortures.
N'ayant rien à ajouter, elle reprit ses déclarations faites à Bordeaux, où elle pensait être. Soudain, elle fut saisie par les gens d'armes et bousculée dans un cachot en dégringolant soixante-dix marches pour y arriver. Cette fois-ci, elle fut mise toute nue et connut de nouvelles tortures.
Desmarrais voulait savoir le nom des agents secrets du gouvernement anglais à la Jamaïque, les transactions qu'ils avaient effectuées en ce qui a trait aux maisons en Angleterre et en Amérique qui leur avaient rapporté de l'argent et à qui cet argent avait été remis ; de plus, ils voulaient savoir où à Saint-Domingue un trésor estimé à une valeur de dix millions en or avait été enterré, etc.
Il semble que les tortures endurées précédemment n'étaient qu'un jeu d'enfant en comparaison de celles infligées à Paris. Sous peu, ne pouvant plus résister, elle perdit ses sens, ses facultés de penser, de parler, et elle perdit connaissance et ne put se souvenir de ce qui lui arriva dans le Temple. Quand elle se reprit, elle se retrouva enfermée et enchaînée à l'hôpital de la Salpêtrière, près du Jardin des Plantes à Paris au début d'avril 1804 ; Suzanne Simon Baptiste était encore torturée alors que Toussaint son mari était mort depuis belle lurette, soit un an auparavant, au fort de Joux dans le Jura, le 7 avril 1803.
À la Salpêtrière, le chirurgien général Lallemand présenta un rapport sur l'état de santé de madame Louverture en convalescence. Finalement, les autorités françaises permirent à son fils de la visiter ; ce qui la réconforta davantage. Cependant, ces nouvelles dispositions de Bonaparte n'étaient pas sans raison. Un de ses fils (elle en avait eu trois par ailleurs : Placide, Isaac et Saint-Jean, qui mourut en 1804 à Agen, en France) dut prendre l'engagement de rentrer en Haïti et de fomenter un parti contre Dessalines ; madame Louverture dut promettre qu'elle allait coopérer avec son fils, elle dut de même signer un protocole reconnaissant les bons traitements qu'elle reçut en France. À ces conditions, elle et son fils furent transférés dans une maison de détention à Paris, en attendant le prochain bateau qui pourrait les amener en Amérique.
Toutefois, dans cette maison de détention, il semblerait que madame Louverture et son fils furent bien traités, avec respect et humanité. Néanmoins, « avant son départ, elle reçut de Bonaparte mille louis d'or, comme une indemnité de sa détention en France ; et madame Bonaparte lui envoya une bague de diamants de la valeur de cinq cents louis d'or, avec une lettre, par laquelle elle lui témoignait qu'elle était pénétrée de sa situation, et l'engagea à oublier le passé, et à se ressouvenir qu'elle était née française ».
Le Herald de New York relatait que madame Louverture avait personnellement raconté sa saga à une certaine madame Bernard. Cette dernière, dans une lettre envoyée à Londres, confirmait que madame Louverture, suite aux tortures, avait perdu l'usage de son bras gauche, et qu'elle n'avait pas moins de quarante-quatre cicatrices dans différentes parties du corps. Le journal du 5 janvier 1805 précisait encore que madame Louverture était « un monument vivant de l'humanité », et vu que le climat des États-Unis ne lui était pas favorable à cause de sa santé affaiblie, qu'elle avait l'intention de s'établir à la Jamaïque aussitôt qu'elle aurait réuni une partie de ses avoirs et si le gouvernement le britannique lui permettait.
Suzanne Simon Baptiste, veuve de Toussaint Louverture, mourut longtemps après à Agen, France, dans les bras de ses fils Placide et Isaac Louverture le 19 mai 1816.
Référence : Madame Toussaint - Gazette politique et commerciale d'Haïti du jeudi 28 mars 1805, l'an deuxième de l'Indépendance, numéro 16.
* Avis aux collectionneurs : Prière de noter ce format, une version corrigée, de La saga de Mme Louverture. Ce titre fit l'objet de trois parutions dans la rubrique A propos de l'histoire d'Haïti, saviez-vous que... patronnée par PRESTIGE. La saga de Mme Louverture sera publiée dans son intégralité dans le nouvel ouvrage de Jean Ledan fils, L'Histoire d'Haïti au singulier à paraître le 7 juin 2012 - LIVRES EN FOLIE 2012.

Wednesday, May 2, 2012

AIME CESAIRE



 
aimé cesaireAimé Césaire

[...] J'admets que mettre les civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien ; que marier des mondes différents est excellent ; qu'une civilisation, quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même, s'étiole; que l'échange est ici l'oxygène, et que la grande chance de l'Europe est d'avoir été un carrefour, et que, d'avoir été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacle de toutes les philosophies, le lieu d'accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur d'énergie.
Mais alors, je pose la question suivante : la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact? Ou, si l'on préfère, de toutes les manières d'établir contact, était-elle la meilleure?
Je réponds non.











Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a au Viêtnam une tête coupée et un œil crevé et qu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France on accepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et a interrogés »,de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent. [...]
On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer.
Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse.
Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme. [...]
La vérité est que j'ai dit tout autre chose : savoir que le grand drame de l'Afrique a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste du monde, que la manière dont ce contact a été opéré ; que c'est au moment où l'Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d'industrie les plus dénués de scrupules que l'Europe s'est propagée «; que notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous ayons rencontrée sur notre route et que l'Europe est comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l'histoire.
Par ailleurs, jugeant l'action colonisatrice, j'ai ajouté que l'Europe a fait fort bon ménage avec tous les féodaux indigènes qui acceptaient de servir; ourdi avec eux une vicieuse complicité; rendu leur tyrannie plus effective et plus efficace, et que son action n'a tendu à rien de moins qu'à artificiellement prolonger la survie des passés locaux dans ce qu'ils avaient de plus pernicieux.
J'ai dit — et c'est très différent — que l'Europe colonisatrice a enté l'abus moderne sur l'antique injustice, l'odieux racisme sur la vieille inégalité.
DISCOURS SUR LE COLONIALISME, PRÉSENCE AFRICAINE, 1955.

Apres 25 ans de desorganisation politique, economique, sociale et culturelle, " HAITI IS OPEN FOR SALE"



Après 25 ans de désorganisation politique, économique, sociale et culturelle, « HAITI IS OPEN FOR SALE » !

Le 1 mai 2012

Tout Haïtien qui réside à l’étranger, plus spécifiquement aux Etats-Unis, fait face aux nombreuses questions des curieux ou spécialistes sur Haïti concernant l’avènement de Michel Martelly au pouvoir. C’est douloureux de constater l’embarras avec lequel mes compatriotes tentent d’expliquer rationnellement, si ce n’est par la folie, ce phénomène incongru qui, malheureusement, se rencontre l’histoire des peuples. On se souvient du règne de Caligula de la Rome antique, d’Indira Amin dada en Ouganda... Tant bien que mal, en bon haïtien, chacun arrive à s’en sortir à partir d’explications, se fait beaucoup d’interrogations, parce que n’arrivant pas à s’en convaincre. Mon ancien professeur d’histoire américaine, un fervent défenseur d’Haïti, me somma au cours du mois d’Avril de l’année dernière de venir le voir pour des consultations au sujet du nouvel élu haïtien. Donc, Aucune question ne m’a été épargnée, une façon amicale de me mettre sur la sellette. 
Comme je l’ai écrit incessamment, les Clinton (époux/épouse) sont les deux principaux faiseurs de roi en Haïti. D’après une source proche de l’ancienne candidate malheureuse à la dernière présidentielle, Myrlande Manigat, tout avait été conçu pour qu’elle accède au pouvoir. Ou du moins, jusqu'à l’arrivée du fameux émissaire du département d’Etat. Cet américain avait comme mission ultime de choisir le nouveau président d’Haïti. Après plusieurs interviews avec les deux candidats, il a jeté de façon inattendue son dévolu sur Michel ou Michael Martelly. Une seule approche a été considérée : le choix de qui peut mieux défendre les intérêts de l’Amérique au palais national d’Haïti. On peut s’étonner de la nature des intérêts américains en Haïti. Un pays appauvri par trois siècles de colonisation Européenne et très lourdement handicappé  par une dette française estimée aujourd’hui à 21 milliards de dollars américains. Les intérêts américains sont les mêmes partout, que le pays soit riche ou pauvre. Il n’y a pas de compassion. C’est la nature même de l’empire qui l’exige.
En face de l’émissaire américain, Martelly s’est imposé comme le chantre garant de l’intérêt impérial en Haïti. En quelque sorte, il a offert plus qu’on lui avait demandé. La femme de Martelly, Sophie, allias « gwo soso », américaine de naissance, fut singulièrement agressive jusqu'à proférer des menaces à peine voilées sur ce qui pourrait arriver dans le pays au cas d’un choix contraire à celui de son mari.
Quant à Madame Myrlande Manigat, toujours d’après la même source, elle a été trop intellectuelle probablement par déformation professionnelle. Ajouter à cela le lourd fardeau de son mari, Lesly Manigat. Celui-ci n’a jamais été bien vu par l’establishment américain. Les Dominicains de l’autre côté de la frontière ne la tolèrent pas non plus. D’ailleurs, le credo louverturien alarme les puissances impérialistes. La plus grande peur de l’international vis-à-vis de la candidate, c’est qu’elle puisse prendre des initiatives claniques dignes d’une rdnpiste (son parti politique, RDNP). L’émissaire décela une pointe de sentiment national dans son verbe rappelant étrangement celui de son mari, 22 ans auparavant, lorsqu’il tenta de se rapprocher de l’Europe.  Vu l’importance des grandes escroqueries à venir au profit de l’international, c'est-à-dire les pillages programmés des ressources naturelles nationales, il fallait éviter tout obstacle. On ne voulait pas prendre de chance avec une femme soumise qui pourrait se lancer dans des aventures nationalistes sous la dictée de son mari. Lui, qui se croit plus intelligent que tout le monde, il est en hibernation. C’était le récit d’un proche de Myrlande Manigat, il a vu voler en fumée son rêve d’homme d’Etat, en moins de 4 heures. 
 Voilà les raisons fondamentales qui expliquent le parachutage de Michel Martelly au pouvoir au détriment de Myrlande Manigat. Sous un angle analytique, tout nationaliste digne de ce nom n’aimerait jamais se trouver dans une position où, pour  arriver au pouvoir il lui faut être parachutée par une puissance étrangère. Les dernières révélations de la presse Dominicaine à propos des 250.000 dollars américains reçus d’un sénateur corrompu du parlement  de la république voisine viennent de saper mortellement sa crédibilité. J’avais écrit que Mme Manigat allait subir une défaite politique et personnelle, longtemps avant le premier tour des dernières élections. J’avais raison. Parfois, je me demande si ceux-là qui font de la politique active en Haïti ne se souviennent pas de l’histoire d’Anténor Firmin et de Rosalvo Bobo. Une trop courte mémoire conduit inéluctablement à l’abattoir de l’Histoire.
Bill et Hillary veulent l’annihilation d’Haïti comme état souverain. Ils savaient pertinemment que la mentalité et les antécédents conflictuels de Michel Martelly allaient soulever de l’hostilité dans la classe politique et l’intelligentsia du pays. Ils connaissent le tempérament volcanique de l’homme de Pétion-Ville et son caractère psychologique instable. Ils sont au courant du passé marqué de prestations artistiques indécents et de l’usage abusif avoué de la cocaïne  de Martelly. Sans oublier les persistantes rumeurs quant à sa participation dans la distribution de la drogue dans le pays à travers son gang appelé « bandit légal ». Ils soutiennent en privé l’inaptitude de celui-ci à diriger le destin de 10 millions d’âmes à un moment où tout est versatile dans le pays. Mais ils le maintiennent au pouvoir coûte que coûte pour des gains géopolitiques impérialistes et personnels. Ils sont témoins de la culture de l’opposition systématique des élites face à leurs adversaires. Bill et Hillary ont piégé le peuple haïtien en lui imposant l’homme le plus décrié du pays à la présidence. Ils veulent être les seuls maîtres de la terre de Jean Jacques Dessalines.
Un ami m’a confié que le département d’Etat a hissé Martelly au pouvoir  pour être à même de dire que « le peuple a le gouvernement qu’il faut ». Si cet adage est vrai, il ne s’adapte pas à Haïti. Le peuple n’a pas voté Martelly au pouvoir. 700.000 sur 4 millions de personnes en âge de voter l’ont choisi en 2011. L’Amérique l’a fait. C’est ce que Frantz Fanon et Jean Paul Sartre ont élégamment décrit dans les « damnés de la terre » et autres textes. Martelly est « un mensonge vivant ». Les Clinton considèrent l’haïtien « comme un peuple arrêté dans son évolution », de ce fait « incapable de diriger ses propres affaires ». Par exemple, incapable d’élire des dirigeants patriotes et compétents. Donc, le peuple à toujours besoin de « la présence permanente d’une direction », comme si « Haïti a commencé avec l’arrivée des Clinton ».
Deux ans de cela, Bill Clinton demanda pardon au peuple haïtien pour avoir réduit à néant la production agricole nationale d’Haïti lors de ses deux mandats présidentiels. Comme si le pardon suffisait pour réparer la souffrance infligée au pays. Ensuite, il a placé au pouvoir le plus grand corrupteur, Michel Martelly, pour mieux ruiner le pays afin de demander de nouveau pardon au peuple haïtien. L’international est en train d’insulter l’intelligence de tout un peuple.
 Cette animosité américaine institutionnalisée à l’endroit des Haïtiens date de Thomas Jefferson, président des Etats-Unis de 1801 à 1809. En 1797, pendant que la guerre de libération nationale faisait rage en Haïti,  Thomas Jefferson a écrit, et je cite : « Si nous n’agissons pas, et ceci maintenant. Nous serons les assassins de nos propres enfants ». Il redoutait avec affolement une victoire des Indigènes en Haïti. Car, cela sonnerait le glas du système esclavagiste, raciste et colonialiste. Cette approche hante encore la politique américaine vis-à-vis d’Haïti. Le peuple haïtien est perçu comme un danger imminent à la domination impériale américaine.
 Jusqu’en 1820, Jefferson complota encore contre Haïti en proposant à l’administration d’alors d’expédier en Haïti tout enfant né de race noire. Ce que l’ancien président ignorait, c’est que tout homme ou femme qui foulait le sol haïtien, était déclaré libre depuis le 1er Janvier 1804. Sans tenir compte de la couleur de la peau, de la  nationalité ou même de l’origine sociale. Ce fut un humanisme verdoyant trempé dans un désintéressement fécond.
La politique étrangère américaine est inspirée du jeffersonisme. C’est pourquoi le pays fut envahi en 1915, après que les Américains ont contribué à nos malheurs en boycottant Anténor Firmin afin de propulser Nord Alexis au pouvoir. Lui qui fut un grand admirateur de l’Amérique, et qui avait prédit depuis 1898, l’avènement d’un noir à la Maison blanche dans environ un siècle. Nous ne pouvons oublier le massacre de 1928 à Marchaterre, et les humiliations des militaires américains faites au peuple haïtien, après avoir emporté la réserve nationale d’or. En 2011, l’international a réédité cette triste histoire en parachutant Martelly au pouvoir.
C’est sous l’occupation américaine de 1929, que ce tracé frontalier défavorable à Haïti mais bénéficiaire à la république Dominicaine fut achevé.  A la première conférence panaméricaine de 1826, les Etats-Unis exercèrent de fortes pressions sur les dirigeants latino-américains de l’époque pour refuser toute participation haïtienne. Eux, qui venaient d’accéder à l’indépendance grâce à l’aide financière, militaire et humaine d’Haïti. Conformément à la grandeur de l’épopée héroïque de 1804.
 Malgré tout, Haïti a été toujours un allié fidèle des Etats-Unis d’Amérique. A la lumière de l’histoire récente du début des années 40, soit 1941, Haïti fut le premier état de l’hémisphère à déclarer la guerre à l’empire Nippon et aux autres puissances de l’axe. Irrité par l’attaque des Japonais sur Pearl Harbor, le président Elie Lescot, dans l’esprit de notre grande tradition diplomatique que « le pays de Jean Jacques Dessalines doit être du côté des victimes », a ordonné aux forces publiques haïtiennes de procéder à l’arrestation de tout citoyen Allemand et Italien vivant dans le pays. Le 12 Décembre, des dizaines de ces sujets furent internés au Fort national. Les autorités haïtiennes de l’époque agissaient vigoureusement contre les bellicistes des puissances de l’axe  avant même que les américains leur déclarèrent la guerre, eux les premiers touchés.
Il faut rappeler aussi le butin de guerre consenti par la république d’Haïti en soutien aux forces alliées. Cette contribution s’élève à plus d’un milliard de dollars américains, car la figue banane fut liquidée à moitié de son prix réel. Sans oublier les dommages causés aux terres arables du pays par la plantation de sisal pour confectionner des cordes a bon marché au service de l’armée américaine en guerre pour libérer l’Europe du fascisme. 
Par contre, quand en 1897, la marine Allemande humilia Haïti au cours de l’affaire Luders en souillant le bicolore national sous la menace canonnière, les Américains brillèrent par leurs mépris. Le Kaiser finalement exigea de l’Etat haïtien 20.000 dollars pour dédommager un citoyen haïtien, né en Haïti, mais de père Allemand, du nom de Luders. L’Amérique n’eut dit mot. Et pourtant la doctrine de Monroe éait déjà en plein effet dans l’hémisphère, dixit « l’Amérique aux américains ». L’Allemagne traversa l’Atlantique pour punir le peuple noir orphelin d’Haïti. La doctrine de Monroe ne saurait s’appliquer au profit de nègres, dont les pères sont encore en Afrique. Aujourd’hui, je vous le dis, en vérité l’Haïtien n’est fils de personne.
 C’est dans ce contexte de haine chronique que les relations entre les deux états ont évolué à travers les ans. Thomas Jefferson influence encore la politique américaine en Haïti. Des optimistes s’attendaient à un revirement diplomatique après la matérialisation de la prédiction de Firmin, avec un noir à la présidence. Ils se sont trompés de bonne foi. J’avais prédit dans « Barak Obama, ni Jésus Christ ni Fidel Castro », qu’il n’allait apporter aucun changement significatif  ni en Haïti ni dans le reste du monde. Car, la politique américaine s’insère dans une logique impériale, dont l’essence est d’étendre  l’autorité de l’empire sur les autres états.
A la lumière de ces éléments, nous comprenons les causes profondes du parachutage de Michel Martelly au pouvoir, malgré lui. Sa mission secrète est de rendre la situation haïtienne encore plus chaotique pour que l’international justifie sa main mise totale sur les ressources minérales du pays. C’est une politique d’usure que l’international s’applique en Haïti. L’Irak et la Libye sont les victimes d’une longue série pour les mêmes raisons, ressources minières ou pétrolifères. Haïti est la prochaine victime, l’impérialisme a déjà commencé depuis des années avec sa politique de « désorganisation et réorganisation ». C’est-à-dire le démembrement de l’état d’Haïti.
Michel Martelly est le dernier en date des pions de l’Oncle Sam pour complètement désorganiser Haïti et, d’après tous les indices, nous assistons au dernier acte du drame. Le sale matraquage psychologique contre Haïti a l’échelle mondiale est achevé, le pays est sur la liste des états parias malgré toute sa glorieuse histoire. La référence de liberté qui fut notre marque de fabrique est falsifiée et remplacée par l’ignorance, l’inculture et la misère. L’Etat d’Haïti est à genoux. Bill Clinton, « le nouveau proconsul d’Haïti », fait la loi. Enfin, « Haïti is open for sale » ! Haïti est à vendre !

 Joël Léon